En Guinée, sensibiliser et former

Jean Valentin Haba, responsable national de Fondacio Guinée, a créé la Maison de l’Artemisia de Kankan en 2018. Hébergé sur la ferme agropastorale Horeb, il a, dès son ouverture, mis en place de nombreuses sensibilisations et formations à la culture de l’Artemisia, outils essentiels pour communiquer sur l’efficacité de la plante dans la lutte contre le paludisme. Partage d’expérience.

Comment avez-vous ouvert cette Maison de l’Artemisia à Kankan ?

J’ai découvert l’Artemisia en 2016 au Togo et en 2017 j’ai décidé d’expérimenter une production de la plante au sein de la ferme agropastorale Horeb-Guinée. Nous avons d’abord cherché à déterminer l’écotype le plus adapté au sol guinéen. Nous avons contacté la Maison de l’Artemisia France qui nous a envoyé des semences. Nous avons ainsi déterminé que c’étaient les écotypes du Malawi (pour l’afra), du Sénégal et du Cameroun (pour l’annua) qui poussaient le mieux chez nous. En 2018, j’ai signé la Charte et ouvert la Maison de l’Artemisia à Kankan, deuxième ville de la République de Guinée. Nous avons alors commencé à cultiver de l’Artemisia annua et afra. En 2020, nous avons reçu un avis positif de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire. Il validait le fait que notre plante contient un pourcentage élevé d’artémisinine. Cette molécule est active dans les médicaments conventionnels, les ACT (Artemisinin Combination Therapy). Cet avis, nous a permis d’être mieux accueillis par les structures sanitaires. Dans la foulée, une pharmacie de Kankan a accepté de vendre des sachets de tisanes en traitement préventif et curatif. Mais en septembre 2020, notre développement a été stoppé. Nous avons dû changer de parcelle suite à la fin de notre contrat de location de 10 ans avec le diocèse de Kankan et à une inondation de notre champ d’Artemisia. Nous travaillons aujourd’hui sur une nouvelle parcelle de 6 ha : 3 ha protégés par une haie vive sont dédiés à l’élevage, à la culture maraîchère diversifiée avec 60% d’Artemisia dont un jardin médicinal de 6000 m2 en clôture grillagée pour que les animaux ne viennent pas piétiner les cultures ;  3ha sont dédiés à l’agroforesterie, ils sont protégés par un pare-feu servant de ceinture afin d’éviter les feux de brousse très récurrents dans la zone. Pour le moment nous ne cultivons que de l’annua, mais nous avons le projet de développer la culture de l’afra.

Dès le départ, vous avez mis en place de nombreuses sensibilisations et formations, qui touchent-t-elles ?

De 2018 à 2023, nous avons formé 98 personnes et réalisé 35 sensibilisations, touché plus de 1500 personnes. Deux types de profils sont intéressés. D’une part, ceux qui ont l’intention de reproduire le schéma cultural et d’ouvrir des Maisons de l’Artemisia locales. Parmi eux, dix retours nous ont été manifestés pour ouvrir d’autres MdA, trois ont fait leurs essais de culture (Kamsar, Sérédou et N’Zérékoré) mais n’ont plus continué. D’autre part, ceux qui veulent s’informer sur les qualités de cette plante pour prévenir le paludisme. Nous avons sensibilisé dans des villages, dans des écoles, dans des mines, au sein de groupements maraîchers. Nous avons aussi touché des phytothérapeutes, des étudiants et des enseignants de l’université de Kankan. En cinq ans, nous avons distribué gratuitement 8300 sachets de tisane. Nous avons formé des stagiaires de l’ISAV (Institut Supérieur d’Agronomie et Vétérinaire de Faranah), des responsables de Fondacio en Guinée, des stagiaires de l’ENAE (École Nationale d’Agriculture et d’Élevage). Et bien-sûr sensibilisé lors des Journées Mondiales contre le Paludisme, notamment en 2021 sur les ondes de l’une de nos radios locales. Une importante partie de notre production est ainsi distribuée gratuitement pendant les sensibilisations. Le reste est vendu. À titre d’exemple, en 2023, nous avons produit 1,5 tonne d’Artemisia séchée. En septembre, nous avons organisé une grande campagne de sensibilisation, à N’Zérékoré, en faisant du porte-à-porte et en organisant des causeries éducatives. Nous avons offert plus d’une centaine de plantes pour la création de jardins communautaires, distribué plus de 1500 traitements et laissé en dépôt vente une centaine de traitements dans une pharmacie locale qui a accepté d’être notre relais.

Quels sont les retours des utilisateurs sur les effets de la tisane ?

Seuls 10% des personnes qui ont reçu des sachets de tisane ont témoigné pour nous faire un retour. Les utilisateurs ne reviennent pas assez vers nous. Nous avons donc décidé, cet été, de changer de stratégie. Nous remettons désormais des tisanes aux médecins, aux pharmaciens, aux centres phytosanitaires mais en échange d’un retour d’expérience sur les effets sur leurs patients. L’expérience montre que la démarche doit être réalisée auprès des prescripteurs et non pas auprès des bénéficiaires pour avoir un retour d’impact. Aujourd’hui, nous sommes en contact avec un centre médical rural à Laine, dans la préfecture de Lola, qui sollicite un partenariat pour l’aider à lutter contre les cas de paludisme récurrent mais aussi pour faire un jardin médicinal avec de l’Artemisia.

À ce stade de notre développement, nous devons multiplier les partenariats pour diffuser la connaissance et la culture de l’Artemisia. Le passage de Malo et Manu, deux jeunes ingénieurs agronomes qui ont traversé à vélo et à pieds l’Afrique de l’Ouest, a contribué à diffuser la culture de la plante sur leur passage. Leur arrivée à la ferme l’hiver dernier, a permis de nouveaux échanges, des témoignages de bénéficiaires et m’a redonné de l’élan et de l’énergie. J’ai besoin désormais de travailler avec d’autres ONG, d’avoir des relais dans la sphère publique, au sein des Ministères et des administrations, d’étendre mon réseau, de moderniser mes infrastructures. Ce sont les prochaines étapes indispensables pour avoir de l’impact et toucher le plus de personnes en Guinée.