Infirmière de formation, diplômée d’un Master en santé publique, Lucie Peters a eu très vite la vocation de la solidarité internationale. Le « hasard de la vie » a fait de la République centrafricaine son pays d’adoption. Elle y d’abord travaillé comme coordinatrice d’un centre de santé avant de prendre la tête de la Maison de l’Artemisia de RCA pendant 18 mois. Interview.
Pourquoi avoir choisi de commencer à travailler en République centrafricaine ?
J’ai toujours voulu travailler dans le domaine de la solidarité internationale. Je suis partie comme volontaire en RCA via le Service de Coopération au Développement qui m’a mis en relation avec une association italienne pour être à le fois infirmière et coordinatrice d’un centre santé. Je suis arrivée devant quatre murs vides et on m’a dit : « voilà le centre de santé, il y a tout à mettre en place. » Je me suis donc retroussée les manches : j’étais à la fois infirmière, coordinatrice, logisticienne, responsable des ressources humaines. Aujourd’hui, et j’en suis très heureuse, ce centre fonctionne bien.
Parallèlement, j’ai toujours été intéressée par les plantes. Sur place, en 2015 j’ai pris contact avec Jean-Denis Ngobo pour consommer personnellement de la tisane d’Artemisia en prévention contre le paludisme. Jean-Denis avait reçu de la Maison de l’Artemisia France des semences d’Artemisia annua. Sur son terrain à Bangui à PK 13 sur la route de Damara, il avait réussi à en cultiver et s’occupait alors de la production et de la commercialisation.
Puis en 2017, je me suis intéressée au projet de manière plus professionnelle. J’ai fait un stage à la Maison de l’Artemisia sur l’évolution de l’incidence du paludisme dans le village de Lubile, en RDC. En parallèle, j’effectuais des allers-retours entre la France et la RCA, parce que j’y avais entre temps rencontré mon futur mari.
J’ai ensuite travaillé pour MSF pendant six mois à Bangui avant de m’impliquer totalement dans la Maison de l’Artemisia RCA pendant 1 an et demi.
Quel a été le moteur de cet engagement pour développer la Maison de l’Artemisia à Bangui ?
Pour moi, le moteur a été l’impact incroyable de cette solution accessible, locale, facile pour les gens, efficace, avec un résultat mesurable et tangible sur la population. Je voulais absolument contribuer à la diminution de l’incidence du paludisme en Centrafrique, via cette plante.
La Maison de l’Artemisia Centrafrique avait été créée en 2019 avec une petite équipe. Mais elle avait du mal à décoller parce que l’Artemisia n’était produite que par une seule personne. Lors de mes voyages annuels en RCA, j’organisais des sensibilisations, essentiellement dans les églises, je travaillais sur la structuration de l’association, sur la motivation de l’équipe, sur la mise à jour des connaissances, sur le packaging des tisanes, la vente en pharmacie…
De fil en aiguille, cela a été un énorme travail que j’ai pu réaliser avec Paul qui est cultivateur. Je n’aurais rien pu faire sans lui. Nous nous sommes chacun consacrés à nos talents en nous appuyant l’un sur l’autre. Paul pour la partie agronomique et moi pour la structuration du réseau. Mais il fallait aussi nous entourer de gens formés et compétents, ce qui a pu être réalisé notamment parce que je suis bien intégrée à Bangui et que je parle le Sango.
Nous avons ainsi monté une équipe. Nous avons orienté chacun vers ses compétences, en fonction de son profil. Aujourd’hui, l’équipe de Bangui est vraiment exceptionnelle et nous avons tous ensemble beaucoup œuvré en 2023 et en 2024.
Concrètement qu’avez-vous fait ?
Nous avons créé une filière Artemisia de qualité à Bangui (culture, transformation, commercialisation). Chaque personne participant à cette chaine de valeur est désormais rémunérée.
Deux agriculteurs produisent aujourd’hui de l’Artemisia : l’un produit de l’Artemisia annua et l’autre de l’Artemisia afra. Deux autres sont en train d’installer leur champ et testent la culture d’Artemisia. Des visites et un suivi sont organisés avec eux. La gamme de produits annexes s’est développée. Des tests ont été réalisés pour du sirop, des bonbons, des bougies, des crèmes, de la chantilly, et des savons… Les crèmes et les savons sont aujourd’hui commercialisés et six points de ventes sont actuellement effectifs à Bangui.
La qualité de l’ensachage a été améliorée : grammage exact, intégration de toutes les tiges, présentation des paquets, instauration d’une numérotation de lots à laquelle les producteurs ont été formés, instaurée depuis juillet 2023. La Maison de l’Artemisia France a notamment participé à la réalisation de l’atelier de transformation et à l’achat de matériel de protection ( gants, masques, tabliers…).
Parallèlement nous avons mené de nombreuses sensibilisations auprès de la population et touché environ 7000 personnes. Aujourd’hui, il est fréquent dans la rue d’entendre des personnes nous appeler « monsieur ou madame Artemisia » et de rencontrer des gens qui connaissent la plante. Nous avons organisé 10 sessions de formation, à Bangui essentiellement, obtenu la reconnaissance et le soutien des institutions nationales. Parallèlement, nous développons la recherche scientifique sur la plante avec notamment l’Institut Pasteur de Bangui. Et nous avons passé de nombreux partenariats. L’équipe sur place est très motivée, notre responsable communication fait aussi un travail admirable mais il reste encore de nombreuses difficultés.
Quelles sont ces difficultés ?
D’abord le coût de la vie à cause de l’enclavement du pays mais aussi de l’inflation en partie due à la présence massive des institutions internationales qui dérèglent le marché. Ceci a un fort impact sur les activités, par exemple en ce qui concerne les impressions pour les supports de sensibilisations, les matières premières pour l’atelier, les transports qui sont très chers.
La projection sur le moyen-long terme est difficile dans un pays où l’on ne sait pas si l’on aura de quoi se nourrir le lendemain et si la guerre ne reviendra pas. Il faut rappeler que les conditions de vie à Bangui et aux alentours sont extrêmement difficiles : accès très limité à l’eau et l’électricité, coupures régulières, vulnérabilité de la population, maladies, deuils… Ces difficultés déséquilibrent l’organisation quotidienne et la programmation de notre MdA.
Je voudrais vraiment saluer le travail magnifique de l’équipe sur place, le rôle de chacun. Aujourd’hui, je ne suis plus sur place mais je reste membre de la Maison de l’Artemisia de RCA et présente à distance pour le suivi sur place. Notre équipe est solide mais elle a besoin de poursuivre les partenariats mais aussi de la solidarité de notre réseau pour faire face aux difficultés locales.