Pharmacologie

L’A. annua, du fait de ses propriétés antipaludiques, a été l’objet d’études biochimiques très poussées. Vous ne trouverez pas ici une liste exhaustive et détaillée, longue et complexe, réservée aux seuls initiés, mais sachez qu’elle est riche en huiles essentielles, polysaccharides, saponines, coumarines, acides, minéraux, flavonoïdes et polyphénols.

Voici quelques éléments importants entrant dans sa composition et suspectés de participer à son action thérapeutique. Certaines substances se trouvent dans les feuilles, d’autres dans les tiges, là encore apportant un argument supplémentaire d’utilisation de la plante dans son intégralité. Insistons cependant sur le fait que les propriétés induites par ces divers constituants sont en cours d’étude et qu’il n’existe pas encore de certitude et de consensus sur leurs modalités d’action synergétique. Ce sont des pistes très prometteuses qui nécessiteront encore de longues et indispensables recherches pour en expliquer les mécanismes. Mais il n’en reste pas moins que même sans tous les comprendre, l’action de la plante est spectaculaire.

Les monoterpènes constituent majoritairement l’huile essentielle à la forte odeur aromatique, dont l’artemisia cétone, l’artemisia alcool et le camphre, tous aux proportions variables en fonction de l’origine géographique. Ces composés présentent une activité antibactérienne et antioxydante, et une action répulsive sur certains insectes. L’artemisia cétone aurait un rôle déterminant dans l’inhibition de la formation de l’hémozoïne1. Les Artemisia hybrides hélas en contiennent très peu ou pas. Certains composés comme l’alpha-pinène, l’eucalyptol et le limonène sont aussi très présents, connus pour leurs propriétés antiseptiques, et leur capacité à réduire la parasitémie.

On trouve dans l’huile essentielle une grande proportion, 40 à 70%, de thuyone, présent dans beaucoup d’espèces d’armoise à plus ou moins hautes concentrations. Des études récentes montrent la faible action antipaludique des espèces dépourvues de thuyone comme l’estragon et l’effet probant de celles en contenant beaucoup comme l’absinthe, ce qui viendrait soutenir l’hypothèse que ce pourrait être l’une des molécules-clés de l’action antiparasitaire, notamment en contrariant la formation d’hémozoïne, de façon similaire à la quinine et à l’artémisinine. Sachant dorénavant que les espèces pauvres en artémisinine soignent tout aussi bien le paludisme, on est en droit d’ouvrir le champ des possibles à d’autres principes actifs. Les propriétés anticancéreuses de plusieurs plantes, comme l’A. absinthium, seraient d’ailleurs proportionnelles à la concentration de thuyone. Des plantes comme la sauge (Salvia officinalis) qui en contiennent beaucoup auraient de bonnes propriétés antipaludiques.

Les monoterpènes sont à leur concentration la plus élevée juste avant la floraison de la plante et détruites en partie par de trop hautes températures de séchage, comme en plein soleil.

Sont présents également les triterpènes pentacycliques. L’A. afra contient l’acide bétulinique, α-amaryne et β-amyrine. L’acide bétulinique a des propriétés antivirales, antiplasmodiques et anti-inflammatoires. Les propriétés prophylactiques de l’acide asiatique que l’on trouve dans d’autres plantes sont bien documentées.

Toujours dans la famille des terpènes, voici les sesquiterpènes provenant des parties aériennes de la plante, auxquels appartiennent l’artémisinine, l’acide artémisinique, et l’arteannuin B, les trois métabolites secondaires majeurs de cette espèce, et aussi les régulateurs de croissance. L’artémisinine aurait un rôle dans la perturbation de l’activité mitochondriale du parasite, sa respiration et sa croissance, ainsi que sur l’inflammation vasculaire. Le nérolidol, un autre terpène, arrête le développement du parasite au stade intra-érythrocytaire.

Plus de 40 flavonoïdes ont été isolés dans l’A. annua, dont la lutéoline, la quercétine, ou la casticine. Les flavonoïdes seuls ont des effets antipaludiques faibles in vitro, mais en présence d’artémisinine augmentent son effet de 50%. De plus, ils ont une demi-vie longue, la quercétine par exemple de plus de 5 jours, assurant potentiellement une action prophylactique longue de la tisane. La lutéoline est une molécule aux propriétés antiplasmodiques, anti-inflammatoires et anticancéreuses démontrées.
L’A. afra est l’espèce contenant la plus haute concentration de flavone lutéoline. C’est un puissant chélateur du fer, réduisant l’absorption du fer libre par l’organisme dont le parasite a besoin, empêchant sa progression au-delà du stade de jeune trophozoïte. La lutéoline est commune à toutes les espèces d’Artemisia à l’action antipaludique. On soupçonne donc une action synergétique essentielle entre terpènes et flavonoïdes, là encore soulignant l’importance de la prise intégrale de la plante.

La plante contient aussi des phytosterols aux effets anti-inflammatoires notoires. Les polysaccharides sulfatés bloquent l’entrée des sporozoïtes dans les hépatocytes. Les coumarines, dont la scopolétine bien présente dans A. afra, ont des effets sur le métabolisme et renforcent le rôle antiplasmodique d’autres molécules. Les saponines augmentent la perméabilité de la paroi intestinale à certaines molécules actives.

Toutes les plantes de la famille des Artemisia sont riches en acides gras polyinsaturés qui génèrent des prostaglandines et stimulant les monocytes. Ces acides gras s’accumulent dans les tissus adipeux et ont un temps de demi-vie de plusieurs semaines dans le corps, ce qui peut expliquer leur contribution aux propriétés prophylactiques. Parmi ces acides, l’acide arachidonique, un puissant antipaludique est en quelque sorte une exclusivité des Artemisia.

Les acides aminés y sont bien présents, le plus important étant l’arginine qui génère l’acide nitreux, arme redoutable par son pouvoir oxydant contre le plasmodium et d’autres parasites.
Dans d’autres plantes médicales telles que l’Inule visqueuse (Inula viscosa), on a mis en évidence l’effet antipaludique des acides caffeoylquiniques et de l’acide chlorogénique. Leur concentration dans les Artemisia est 5 fois supérieure à celle de l’artémisinine.

Dans la plupart des études ont été oubliés les tanins, anthocyanines et proanthocyanidines, tous aux propriétés prophylactiques reconnues. Une des raisons en est simplement l’utilisation des solvants organiques, alors que la plupart de ces tanins ne sont solubles que dans l’eau.

Il en va de même pour certains sels ou minéraux contenus dans l’Artemisia. La plante est extrêmement riche en potassium, et ne contient pas de sodium. Surprenant quand on sait le rôle que le sodium et le potassium jouent dans le monde vivant. On peut suspecter que cette forte concentration en potassium est létale pour le plasmodium.

Des études cliniques ont prouvé que les composés antipaludiques testés étaient efficaces à une concentration bien moindre lorsque utilisés en tisane ou en poudre d’A. annua, qu’avec les seules molécules. La présence de ces nombreux composés viendrait donc accroitre la biodisponibilité de l’artémisinine et/ou celle de la thuyone ou d’autres terpènes et molécules antipaludiques, et ainsi démultiplier leur efficacité. Il est certain que seule l’ingestion de la plante en totum permet ceci. Mais la recherche est encore longue pour comprendre la complexité des mécanismes en jeu.

Compléments

1 Composée de fer et de porphyrine, l’hème est présent dans l’hémoglobine qui assure le transport des gaz du sang. Certains composés exercent leur activité antiparasitaire en contrariant l’agrégation de l’hème et la formation d’hémozoïne, pigment caractéristique de la présence du Plasmodium. Il apparait lors de la dégradation de la cellule hôte. Or le fer contenu dans les globules rouges est potentiellement toxique pour le parasite. Il couple ces groupements d’hème qui se cristallisent et forment alors une molécule d’hémozoïne. C’est en circulant dans l’organisme que ces molécules finissent par atteindre l’hypothalamus dont elles perturbent le fonctionnement, déclenchant les fortes fièvres typiques de la maladie. L’augmentation du nombre de Plasmodiums dans l’organisme accroit le taux d’hémozoïne dans le sang et aggrave donc les fièvres. C’est donc autour de l’inhibition de l’hémozoïne que se focalisent de nombreuses recherches sur le Plasmodium mais aussi sur les helminthes ; nématodes, trématodes et schistosomes.